Tout a commencé par une simple question posée à l’une de mes classes :
« Savez-vous combien de personnes sans-abri meurent chaque année dans la rue ? »
Une réponse a traversé la salle :
« Trop. »
Ces mots, d’une lucidité déchirante, ont marqué le point de départ d’un projet qui allait dépasser toutes mes espérances.
Il y a quelques années, dans le cadre d’un chapitre de français que j’avais intitulé « La marginalité : de l’exclusion à la solidarité » (avec l’étude d’affiches du Samu social, de la nouvelle Nadine de Thierry Jonquet et du roman No et moi de Delphine de Vigan), j’ai proposé à la classe de 4e dont j’étais la professeure de français et professeure principale un nouveau projet : en partenariat avec l’association SAKADO, remplir un sac à dos de 40 litres à destination d’une femme sans-abri, accompagné d’une lettre. Mais bien vite, un seul sac n’a pas suffi à contenir l’élan de solidarité de mes élèves. Dès la semaine suivante, des dizaines de dons ont afflué. Mes élèves latinistes se sont mobilisés à leur tour, certain·e·s apportant des produits, d’autres aidant à répartir les kits pendant la pause méridienne. Même les petits frères et sœurs ont contribué, glissant leurs dessins dans les sacs. Finalement, ce ne sont pas un, mais 25 sacs complets qui ont été réunis. Ce premier élan solidaire a marqué le début d’une tradition, renouvelée chaque année avec un engagement toujours croissant.
À travers l’histoire de ce projet, je vous propose de dérouler avec moi le fil rouge de la solidarité, cette émotion qui relie, qui élève, et qui redonne tout son sens à l’expression « vivre ensemble ».

💓 Le corps en écho : ressentir la solidarité
Je vous livre les mots que j’ai posés sur mon carnet :
✍️ « La solidarité, une valeur, une manière de penser ? Et si c’était aussi une émotion, quelque chose qui vibre dans le corps ?Ces sensations, je les ressens profondément, ancrées en moi. À l’instant où une main se tend vers moi, ou quand je tends la mienne, je sens mon corps s’ouvrir. Mes épaules se desserrent, mon souffle s’élargit, et une douce chaleur s’installe dans mon ventre. Mes yeux, témoins du pouvoir du collectif, s’écarquillent, emplis d’espoir.
Je me sens confiante, solidement ancrée dans le sol et dans mes actions. Je crois en ce que je fais. Et surtout, je ne suis pas seule. Ensemble, je sens que nous pouvons gravir les montagnes de l’injustice, semer les graines d’un avenir plus juste et respectueux pour chacun·e.Une vague de chaleur circule en moi, m’enveloppe. Je souffle et soupire de soulagement : je ne suis pas seule.

✍️ Quoi qu’il arrive, une solution existe. Le collectif me galvanise. Il balaie d’un revers de main mon impuissance et éteint la flamme du désespoir. Il m’ancre dans l’instant présent et me donne la force d’avancer. Je fais ma part. Nous faisons notre part. Nous y croyons. Ensemble, tout devient possible.
La flamme de l’espérance brûle intensément. « Je » devient « nous ». Je m’efface pour fondre dans une cire commune, prête à façonner un avenir solidaire.Nous avançons ensemble, pas à pas, main dans la main. J’y crois. Je sais que tout est possible. »
✨ Les messages que livre la solidarité

✅ Ce que l’autre vit compte pour nous

La solidarité est un subtil mélange d’empathie, d’espoir et de détermination. C’est une émotion puissante, car elle relie la compréhension de la détresse de l’autre à l’action concrète. Lorsque nous sommes solidaires, nous affirmons que la douleur de l’autre n’est pas invisible, que nous faisons partie de la solution. Comme l’a souligné madame Latil, maman de Noha :
« Merci à vous pour cette belle initiative. Il est important d’apprendre à nos enfants le partage, le don et l’empathie. »
✅ La preuve qu’on n’est pas seul·e
La solidarité nous rappelle que nous appartenons à un collectif, une force plus grande que nos individualités. Elle ancre en nous une conviction profonde : ensemble, nous pouvons surmonter les épreuves. Monsieur et Madame Begolli, parents d’Enzo, ont exprimé cette idée avec justesse :
« Ça nous fait plaisir de pouvoir tendre la main à ceux qui sont dans le besoin. C’est une des valeurs qu’on essaye d’inculquer à nos enfants car, comme on leur a expliqué, nous ne sommes pas à l’abri d’un jour se retrouver dans une situation délicate comme ces personnes-là. Merci de votre implication et votre gentillesse. »
✅ La conviction que l’on peut changer les choses

Mon partenariat avec l’association SAKADO incarne cette dynamique collective. À travers la collecte, mes élèves ont appris que des gestes simples, lorsqu’ils se multiplient, peuvent transformer des vies. Madame Mozol, maman de Manon, l’a très bien résumé :
« C’est une belle leçon de partage, de tolérance et d’humanité à l’heure ou l’égoïsme est prédominant. Merci. »
Cette initiative a semé des graines d’espoir et de solidarité dans le cœur des élèves, des familles et de notre communauté. Chacune de ces graines est un pas vers un monde plus juste. Elle montre que la solidarité constitue une force transformatrice.
✅ La persévérance face aux défis
Il y a des moments où l’espoir vacille, où l’impuissance semble prendre le dessus. Mais c’est précisément dans ces instants que le collectif révèle toute sa force, galvanisant les énergies et rappelant que chaque effort compte.
Un exemple marquant : durant les restrictions sanitaires, il m’était interdit de stocker des affaires dans ma salle de classe. Ce fut un obstacle de taille. Mais plutôt que de baisser les bras, nous avons cherché une solution : Marina Donato, maman de mon élève Agathe, a ainsi stocké les affaires au fur et à mesure dans son garage et a utilisé son salon pour confectionner les trousses de toilette. L’année suivante, avec le soutien de la mairie, une permanence a été ouverte dans une salle communale dédiée à la collecte des dons.
🧭 Cette boussole intérieure : ce que la solidarité m’a appris
🎁 Une générosité qui a dépassé mes attentes


Lors de la première année de l’opération SAKADO au collège, le défi était simple : remplir un sac de 40 litres pour une femme sans-abri. Mais l’élan de générosité a dépassé toutes mes espérances : 25 sacs furent finalement récoltés, puis 60 sacs deux ans plus tard. J’ai été impressionnée par l’engagement de mes élèves dans ce projet solidaire. Ils·Elles ont sollicité des pharmacies pour obtenir des échantillons de produits et mobilisé leurs familles. Leur créativité et leur dévouement ont fait de cette initiative un véritable succès.
➡️ L’effet domino : d’une classe à une communauté entière


Dès cette réussite initiale, l’objectif fut de pérenniser ce projet. Mes élèves, devenu·e·s ambassadeurs·drices, ont sensibilisé leurs camarades et mobilisé d’autres classes. Puis l’élan a dépassé les murs du collège : la municipalité a mis à disposition une salle communale pour recueillir les dons, et les habitant·e·s des communes voisines se sont investi·e·s. Des écoles primaires ont apporté une touche poétique en offrant des dessins pour accompagner les sacs.
🔄 De l’exceptionnel au rituel

Cette initiative, initialement ponctuelle, est désormais ancrée dans la vie du collège et des familles. C’est ainsi que madame Donato m’a confié :
« C’est devenu une habitude familiale, SAKADO. Même juste le principe de donner aux personnes dans le besoin : tous les enfants de la maison ont changé leur regard. Un sourire, un geste anodin peut changer la journée d’une personne et je m’efforce de l’apprendre à mes enfants. »
Elle a même écrit un texte, qu’elle a accepté de partager sur ce fil rouge des émotions :
«Je ne suis qu’un homme
Ma maison est la rue
Sur mon bout de trottoir
J’attends dans le froid
Un sourire, un bonjour
Tu passes à côté de moi
Ton regard se détourne
Je te demande une pièce
Tu me donnes du mépris
Je fais partie du paysage
Devenu invisible avec le temps
Si demain mes yeux se ferment
Tu ne le remarqueras pas
J’ai eu un joli costume
J’ai distribué du mépris moi aussi
À ces hommes sur les trottoirs
Ma vie un jour a basculé
Sans que j’ai le temps de comprendre
Aujourd’hui je porte ta veste
Je trouve ma nourriture dans tes poubelles
La rue est ma maison
Le trottoir mon canapé
Le froid mon compagnon de route
Et parfois on m’apporte une soupe chaude
On me donne une pièce
Un enfant avec son innocence me sourit
Et mon cœur devient alors moins lourd
Je ne suis qu’un homme
Qui a perdu les codes sociaux
La rue est ma maison
Le trottoir mon canapé
Ton sourire, ta pièce, ton bonjour
Me chauffent le cœur
Ne détourne pas le regard
Je suis juste un homme. »
🌱 Semer des graines…

Ce projet m’a appris que la solidarité peut se transformer en engagement durable. J’ose croire que, grâce à ces actions, je sème des graines de conscience et de solidarité chez mes élèves, des graines qui, je l’espère, continueront de grandir et d’inspirer un avenir empreint de générosité et de respect.
🔍 Dans les coulisses de cet article : le parcours inspirant d’Agathe
L’aventure a débuté dans ma salle de classe, lorsque Ludovic Perez et Sébastien Guillon, bénévoles de Sakado, sont venus rencontrer mes élèves en présence du principal du collège. Touchés par leur engagement et leur maturité face à la précarité, ils leur ont remis un Diplôme d’engagement citoyen et de solidarité ainsi qu’un CD de chants de Noël. Émus, ils ont également invité les élèves à partager une galette des rois et à accompagner la remise des sacs directement aux sans-abri. Six élèves ont pris part à cette journée inoubliable.

Parmi ces élèves, Agathe Chaim Donato, dont l’investissement exceptionnel a marqué les bénévoles. Deux ans et des dizaines de sacs plus tard, Ludovic Perez, responsable Vaucluse de SAKADO, lui a proposé, avec les larmes aux yeux, de devenir responsable locale de SAKADO. Depuis, elle revient chaque année témoigner dans mes classes, partageant son expérience et son engagement avec passion.
Son parcours illustre la puissance transformatrice de la solidarité : un projet scolaire a semé une graine qui a grandi jusqu’à devenir un engagement de vie. Agathe est la preuve qu’un simple geste peut ouvrir la voie à des réalisations extraordinaires. La voir incarner avec passion les valeurs de solidarité, inspirer d’autres bénévoles et revenir témoigner en classe est une immense source de fierté.
Planter une graine de solidarité peut faire éclore des fleurs inattendues, et Agathe en est l’exemple le plus éclatant.
📚 La solidarité à travers les âges, entre histoire, littérature et sciences

🧐 Étymologie du mot solidarité
Le mot solidarité trouve ses racines dans le latin solidus, signifiant « solide » ou « entier », évoquant l’idée de fermeté et de cohésion. Son évolution se décline en trois étapes majeures :
1️⃣ Origines latines Dans le latin classique, solidus désigne ce qui est compact et robuste. En droit romain, l’expression in solidum décrit une obligation commune, où chaque personne est responsable pour l’ensemble, illustrant déjà un principe de partage et d’interdépendance.
2️⃣ Émergence en français Au XVIIe siècle, solidarité apparaît dans les textes juridiques français pour désigner une responsabilité collective entre plusieurs individus. Progressivement, au XVIIIe et XIXe siècles, son sens s’élargit pour inclure des dimensions morales et sociales, reflétant l’entraide et le soutien mutuel.
3️⃣ Sens contemporain Aujourd’hui, la solidarité symbolise l’union et l’interdépendance entre membres d’un groupe face aux défis communs. C’est à la fois une valeur morale et une pratique sociale, incarnant l’entraide comme fondement de la cohésion humaine.
📜 Citation inspirante : la chanson We are the world

Pendant plusieurs semaines, au collège où je travaille, We Are the World a résonné comme sonnerie. Les paroles de cette chanson emblématique traduisent l’essence même de la solidarité : l’engagement collectif pour un avenir meilleur. Voici le refrain qui, pour moi, capture ce message universel :
« We are the world, we are the children
We are the ones to make a brighter day
So let’s start giving »
En français :
« Nous sommes le monde, nous sommes les enfants
Nous sommes ceux qui rendent le monde meilleur
Alors commençons à donner »
Ces mots me rappellent combien chaque geste compte et comment, ensemble, nous pouvons construire un monde empreint de générosité, avec l’empathie pour fondations.
📖 Conseil de lecture
➤ Découvrez la chronique de mon élève Anya sur No et moi de Delphine de Viguan, un roman bouleversant qui explore l’amitié entre une lycéenne et une jeune sans-abri, mettant en lumière le thème de la solidarité. 👀


🔬 Les bienfaits de la solidarité : une perspective scientifique
Beaucoup d’études démontrent les bienfaits de la solidarité et du comportement prosocial. Je vous propose des angles variés pour enrichir notre réflexion. Ces études m’ont aidé à comprendre pourquoi ce projet avait un tel impact non seulement sur les bénéficiaires, mais aussi sur les participant·e·s. Les élèves, leurs familles, mes collègues qui se sont embarqué·e·s à mes côtés dans ce projet et moi-même, avons ressenti très fort ce sentiment d’appartenance et d’utilité.

✅ Impact psychologique positif de la solidarité
Une méta-analyse montre que les comportements prosociaux, comme l’entraide, améliorent la santé mentale et le bien-être général. Aider les autres peut réduire les symptômes d’anxiété et de dépression, notamment en créant un sentiment d’utilité et de connexion sociale.1
✅ Solidarité et longévité
Une étude sur le vieillissement a révélé que les personnes qui participent à des activités bénévoles ou prosociales ont tendance à vivre plus longtemps. Ces comportements sont associés à une meilleure régulation cardiovasculaire, un renforcement du système immunitaire et une réduction des biomarqueurs liés au stress chronique.2
✅ Renforcement des communautés
Lors de crises collectives comme le COVID-19, des études qualitatives menées dans plusieurs pays européens ont mis en lumière l’émergence d’une solidarité spontanée (groupes d’entraide, partage de ressources). Ces comportements renforcent le tissu social et permettent de maintenir la cohésion même dans des contextes difficiles, tout en générant des sentiments d’espoir et d’appartenance.3
✅ Effets éducatifs et intergénérationnels
Aider les autres peut influencer positivement les jeunes générations. Les programmes d’éducation axés sur la solidarité ont démontré leur capacité à développer l’empathie, le sens civique et des compétences sociales essentielles chez les élèves.4
🛠️ Guide d’application
Comme je l’ai écrit, la solidarité peut être ressentie comme une émotion, quelque chose qui vibre dans le corps. À l’instant d’une action solidaire, elle s’ancre dans nos sensations physiques et émotionnelles. Je vous invite à vous souvenir d’un moment où vous avez tendu la main à quelqu’un ou reçu un geste de soutien : qu’avez-vous ressenti ?
✍️ Et vous, quelle action solidaire avez-vous menée ou vécue ? Partagez-la ici pour nous inspirer ! 👇
L’association SAKADO

« Depuis 2005, l’association SAKADO collecte des sacs à dos à l’occasion des fêtes de fin d’année pour les distribuer aux sans-abri dans la France entière.
Grâce à SAKADO, vous n’offrez ni un toit, ni un emploi mais un geste de solidarité sous la forme d’un sac à dos style randonnée de 40 ou 50 litres en bon état, contenant 4 kits d’objets usuels et pratiques :
1 kit chaleur, 1 kit hygiène, 1 kit festif et 1 kit culture-communication. »
Cliquez ici pour en savoir plus sur l’association.

💡 En savoir plus sur le challenge et sur Lison Novaretti, l’autrice de cet article
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➤ Cliquez ici pour en savoir plus sur Lison Novaretti.
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1Nelson, S. K., Layous, K., Cole, S. W., & Lyubomirsky, S. (2016). Do unto others or treat yourself? The effects of prosocial and self-focused behavior on psychological flourishing. Emotion (Washington, D.C.), 16(6), 850–861. https://doi.org/10.1037/emo0000178
2Post S. G. (2005). Altuism, happiness, and health: it’s good to be good. International journal of behavioral medicine, 12(2), 66–77. https://doi.org/10.1207/s15327558ijbm1202_4
3Kieslich, K., Fiske, A., Gaille, M., Galasso, I., Geiger, S., Hangel, N., Horn, R., Lanzing, M., Libert, S., Lievevrouw, E., Lucivero, F., Marelli, L., Prainsack, B., Schönweitz, F., Sharon, T., Spahl, W., Van Hoyweghen, I., & Zimmermann, B. M. (2023). Solidarity during the COVID-19 pandemic: evidence from a nine-country interview study in Europe. Medical humanities, 49(4), 511–520. https://doi.org/10.1136/medhum-2022-012536
4 Layous, K., Nelson, S. K., Oberle, E., Schonert-Reichl, K. A., & Lyubomirsky, S. (2012). Kindness counts: prompting prosocial behavior in preadolescents boosts peer acceptance and well-being. PloS one, 7(12), e51380. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0051380
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